ETATS DES YEUX | Septembre 2023 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 38
lundi 18 septembre 2023
JOURNAL D'AUTOMNE
Texte & Une photo par jour
Semaine 38 - Année XXIII - Lundi
Tu as laissé filer les jours. Mais ta tête n'a cessé de mouliner les mots comme dans un boulier de loto. Faute de pouvoir faire une sélection qui te convienne, tu as repris des contacts, rédigé des mails, une lettre importante et commencé à lire les nouveaux livres de la rentrée littéraire, ceux qui ont réussi à franchir la barrière de tes choix et de tes attirances. Encore une fois, tu t'approches des livres à l'intuition, avec un éclectisme qui n'a même pas besoin de se justifier. Tu lis pour nourrir ta pensée avec des choses assimilables dans une langue claire et réfléchie. Tu ne lis pas pour te distraire, tu lis pour apprendre quelque chose que tu ne sais pas, ou pas suffisamment. Tu lis pour comparer les façons d'utiliser ta langue maternelle et les vocabulaires. Tu t'acclimates à la modernité qui est parfois déroutante et même décevante, mais tu fais confiance à l'intelligence et au discernement des auteur.e.s. Tu sélectionnes les plus crédibles quitte à ne rester que le temps d'un ouvrage dans leur microcosme et leurs préoccupations. Tu regardes et écoutes certaines émissions littéraires et tu attrapes au passage des références bibliographiques que tu notes pour plus tard. Tu commandes tes bouquins régulièrement à tes libraires ou attrapes sur leurs étagères, ce qui est prioritaire pour ton plaisir de lectrice. Tu n'achètes que ce qui vraiment sort du lot ( selon tes critères) pour des raisons qui ne sont pas du ressort des influences assenées par les éditeurs ou les libraires (même les plus passionné.e.s). Tu te sens libre de cheminer dans des circuits buissonniers de l'offre littéraire. Tu aimes la saveur des découvertes inédites. La littérature portée par des vivant.e.s. Tu aimes écouter les entretiens, les reportages sur la vie des écrivains et des poètes, des artistes peintres ou sculpteurs également. A l'âge où tu es parvenue, tu te sens dégagée des injonctions et des recommandations pressantes du système culturel marchand dominant et changeant. Tu recherches la rencontre vivante, l'authenticité et le sérieux des propositions mises en ligne sur internet. Tu préfères la qualité à la quantité. Tu te défies de celles et ceux qui veulent à tout prix se mettre en avant pour occuper l'écran dans des stratégies de visibilité personnelle de plus en plus décomplexée. Tu t'interroges sur ta propre démarche car tu n'as pas encore bien clarifié ce qui pourrait la contenir, au sens de la délimiter. La littérature est un vieux continent qui ne cesse de se transformer, une colonie de termitières qui ne voit pas qui la commande de l'intérieur et qui travaille sans relâche en recyclant ses trésors.
La pluie d'automne et les brumes sont arrivées. Entre le monde et toi il y a cette fenêtre, des baies vitrées, des livres et des objets familiers. Tu cultives ta solitude et les moments conviviaux que tu acceptes en évitant les foules anonymes et les ambiances saturées de lumière et de son. Tu ne sors pas tous les jours. Tu obéis à une horloge intérieure qui te dicte le dosage de lumière extérieure et de verdure rassurante. Tu vis de plus en plus dans ta tête comme dans une montgolfière qui circule au dessus des contingences et des craintes ordinaires face aux périls planétaires. Tu ignores jusqu'à quand cette indépendance te sera accordée , c'est pourquoi tu la savoures, heure après heure. Ton corps est moins exigeant, tu prends moins d'antalgiques, mais tu es contrainte à un suivi et à des prises de médicaments que tu trouves intrusifs. Tu ne sais pas si tu mourrais plus vite en ne les prenant pas. Tu essaies d'oublier la question en songeant à tous ceux et celles qui ne peuvent pas se soigner. C'est une injustice qui te taraude... L'arrivée de nouvelles vagues migratoires à Lampedusa ravive ta colère. Elles rappellent l'iniquité du partage des richesses et de la sécurité. Comment éviter ces exodes suicidaires et exploités par des marchands irresponsables. Comment calmer l'illusion d'eldorado et rétablir l'ouverture des frontières pour éviter les barbelés et les soldats ?
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